Il y a un an, Madrid dévoilait d’élégantes scènes urbaines du Sénégal de la première moitié du XXe siècle captées par ce pionnier de la photographie africaine. Retour sur une exposition originale.
Un des pionniers de la photographie africaine, le Sénégalais Mama Casset, a longtemps été méconnu du grand public comparé à ses contemporains maliens Seydou Keïta et Malick Sidibé. Cette injustice a enfin été réparée l’année dernière grâce à l’exposition « L’élégant Sénégal de la première moitié du XXe siècle » proposée au centre culturel Círculo de Bellas Artes à Madrid dans le cadre du Festival espagnol international de la photographie, qui fêtait ses vingt ans. Le Círculo de Bellas Artes n’est pas un lieu anodin : l’avant-garde artistique espagnole, dont le jeune Picasso, qui devra tant à l’inspiration africaine, y croise alors la bourgeoisie madrilène éclairée.
Ainsi, tout le mois d’août, un monde sous occupation coloniale s’est révélé en noir et blanc, des membres de famille en tenue des grands jours aux rues dakaroises et saint-louisiennes que l’on imagine imprégnées de tchouraï, l’encens à base de plantes préparé par les femmes sénégalaises. Une trentaine de tirages – quatorze prises en intérieur, le reste en extérieur – viennent d’un photographe anonyme actif de 1915 à 1925. L’originalité et la rareté de ces images ont convaincu les trois commissaires d’exposition, également auteurs aux éditions Revue noire, Pascal Martin Saint Léon, Jean-Loup Pivin et Frédérique Chapuis. Cette dernière précise l’intérêt : « Ce ne sont pas des photographies de studio, mais des photographies prises à l’extérieur, dans la rue ou bien au domicile des personnes photographiées. »
Contester le récit d’une Afrique sauvage en façonnant une autre manière de regarder
Malheureusement, la majorité de son œuvre va disparaître dans l’incendie de son atelier en 1982. Devenu aveugle quelques années auparavant, il décède en 1992. Seules quelques copies sauvées des flammes évitent que son nom ne sombre dans l’oubli. D’où l’importance de montrer ses clichés, comme au musée de la Photographie de Saint-Louis, qui depuis son ouverture l’année dernière expose les œuvres des précurseurs sénégalais dans l’exposition « Rêveries d’hier ». À Madrid, l’exposition au Círculo de Bellas Artes est organisée par la fondation Ankaria, qui encourage la création artistique nationale et internationale : après avoir soutenu des photographes au Maroc depuis 2015, elle développe cette année un programme de résidences pour les artistes sénégalais et espagnols.* « L’élégant Sénégal de la première moitié du XXe siècle », Círculo de Bellas Artes à Madrid, août 2018.
Pièces maîtresses de l’exposition, la vingtaine de tirages de Mama Casset date des années cinquante. Il est originaire de Saint-Louis, véritable capitale de la photographie africaine, comme Doudou Diop et Meïssa Gaye, le père de la photographie sénégalaise. Né en 1908, Mama Casset s’initie à la photo dès douze ans auprès du français Oscar Lataque à Dakar. Après avoir intégré l’Armée de l’air française pour laquelle il réalisera de nombreuses photographies aériennes, il ouvre son studio African Photo dans la Médina à Dakar après la Seconde Guerre mondiale. Appréciées de la bourgeoisie et de la classe moyenne, ses images à l’esthétique cadrée sont dépouillées de toute référence exotique alors que ses modèles portent fièrement leurs vêtements traditionnels.